Trente ans après avoir appris sa séropositivité, Jean-Luc Romero-Michel raconte son long et difficile combat contre le VIH dans un livre témoignage bouleversant, « SurVivant * », qui revisite aussi toute l’histoire de la lutte contre le sida. Nous l’avons rencontré…
Cet homme a eu deux vies… La première a bien sûr commencé à sa naissance, en 1959, à Béthune dans le Pas-de-Calais. La seconde a démarré le 25 septembre 1987 à Paris, lorsque son médecin lui a appris qu’il était porteur du VIH. A l’époque, ce terrible diagnostic résonne comme une sentence de mort, inaudible pour un jeune homme de 28 ans. Autour de lui, depuis le début des années 1980, la pandémie du sida a déjà emporté tant d’amis, de proches…
« Même en 2016, vivre avec ce virus n’est ni simple, ni banal »
Par chance, Jean-Luc est très vite traité par l’AZT : « Mais c’était horrible. Il fallait prendre des comprimés toutes les quatre heures sans exception, avec de très nombreux effets secondaires qui bouleversaient totalement la vie et l’organisme. Mais ça m’a permis de tenir jusqu’à l’arrivée des trithérapies, avec encore des effets secondaires importants, mais moindres. Finalement, tous ces traitements ont déclenché un diabète avec lequel je dois vivre aussi. C’est malheureux pour un amoureux du chocolat au lait comme moi ! », glisse-t-il dans un sourire.
Trente ans après son diagnostic, ce « militant, élu, gay, marié et séropositif » s’émerveille à chaque instant d’être un survivant. Conseiller régional d’Ile-de-France, maire-adjoint du XIIe arrondissement de Paris et président de l’ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité), il est le seul homme politique (aujourd’hui sans étiquette) à avoir révélé sa séropositivité. C’était en 2002 : « Un acte très libérateur pour moi. » Surtout, il confie avoir eu beaucoup de chance par rapport à tant d’autres : « Je n’ai plus de charge virale détectable, mais je me soumets à des contrôles médicaux réguliers. Et tous les trimestres, sur mon blog, je donne mes résultats biologiques, sans commentaire, juste après mon rendez-vous avec le Pr Willy Rozenbaum qui me suit. »
C’est lui le premier médecin qui a alerté l’Institut Pasteur sur l’émergence du sida et a fourni, en janvier 1983, le premier échantillon de ganglion lymphatique qui a permis de découvrir le VIH. « En publiant mes résultats d’analyses, précise Jean-Luc Romero-Michel, je voudrais qu’on se rende compte que, même en 2016, vivre avec ce virus n’est ni simple, ni banal. C’est une maladie grave. Environ 3 300 personnes en meurent chaque jour dans le monde ! Et il y a une terrible inégalité dans les traitements entre pays riches et pauvres… »
« M’occuper des autres m’a sauvé »
Ce jour de 1987 où Jean-Luc a appris sa séropositivité, sa première réaction a été salutaire : « J’ai foncé à l’Assemblée nationale, où j’étais assistant parlementaire, pour continuer à travailler. Et ça m’a sauvé, je crois. « Sans rien dire encore de sa séropositivité, il entamait ce combat si intime sous le signe de la solidarité : « Quasiment tous les soirs, j’allais voir quelqu’un dans un hôpital. Et je pense que m’occuper des autres m’a aussi sauvé… «
De nombreux malades étaient abandonnés par leurs familles, leurs proches, et connaissaient d’atroces souffrances – pas toujours soulagées par les équipes soignantes. « Heureusement, ils étaient veillés, accompagnés par les militants des associations LGBT. Et c’est eux qui s’occupaient de leur enterrement… Chaque semaine, je devais rayer des noms dans mon répertoire. Tant de gens aimés, emportés. A certains moments, j’avais des pages entièrement barrées de noir. C’était affreux. Vers 1994-1995, je n’arrivais même plus à pleurer. J’étais comme une espèce de zombie qui allait parfois au Père-Lachaise. Les gens mouraient à 20 ou 30 ans. C’était insupportable… «
« Si on disposait de 25 milliards, on pourrait faire disparaître la contamination du VIH en 2030 »
Mais cette solidarité a étrangement décliné avec l’arrivée des nouveaux traitements plus performants : « Paradoxalement, comme aujourd’hui on ne voit plus les gens mourir, on a l’impression que la pandémie VIH est bien moins grave. » Des idées fausses minimisent la gravité de l’infection et induisent des conduites à risques, notamment chez les plus jeunes. « C’est le grand paradoxe : aujourd’hui, il n’y a jamais eu autant de gens touchés par le VIH – au moins 150 000 personnes en France – et, pourtant, on a l’impression que ça n’existe plus. Le fait de ne plus en parler empêche d’exercer une pression populaire sur les dirigeants pour mettre en place les moyens nécessaires. «
Car la pandémie pourrait être vraiment vaincue à moyenne échéance, explique Jean-Luc : « Beaucoup de gens ignorent que si on mettait des moyens suffisants – 25 ou 30 milliards à l’échelle planétaire -, on pourrait réellement faire disparaître la contamination du VIH en 2030 ! C’est l’objectif de l’Onusida. « Etonnamment, ce survivant ne parvient toujours pas à faire des projets à plus de quatre ou six mois d’échéance. Son plus long pari sur l’avenir, c’est celui de son mariage avec Christophe, son amoureux rencontré il y a dix ans. Une union célébrée en septembre 2013 : « »C’est aussi l’amour qui m’a sauvé », conclut Jean-Luc dans un sourire qui n’en finit plus…
* SurVivant, Mes 30 ans avec le sida, de Jean-Luc Romero-Michel (éditions Michalon)
Cette interview est extraite du Closer n° 598.