Vidéo. Rescapée du salafisme, Henda Ayari se dévoile et raconte à Closer son endoctrinement et sa résurrection.
Tout a commencé le 23 novembre 2015. Ce jour-là, j’ai arrêté de me cacher. Dix jours exactement après les attentats de Paris et de Saint-Denis, j’ai publié deux photos de moi sur ma page Facebook. Sur la première, j’ai la vingtaine, je suis vêtue d’un immense voile noir, le « jilbab« , ma tenue salafiste. Sur l’autre, toute récente, je suis en pantalon et petite veste noire élégante, et tête nue.
En quelques jours, plus de 80 000 femmes ou hommes de tous bords ont liké ma publication. Un avant-après détonnant qui a aussi été la cible de nombreux messages de haine. Mais le plus touchant, ce fut toutes ces jeunes filles qui me contactaient discrètement en privé : elles me racontaient leurs doutes et me demandaient, à moi, si elles étaient vraiment obligées de porter le voile… C’est d’abord pour elles que j’ai écrit mon livre: « J’ai choisi d’être libre » paru aux éditions Flammarion.
Je m’appelle Henda Ayari et je suis née à Rouen, il y a quarante ans. Je suis issue d’un mariage forcé. Voilà qui plante le décor. Mes parents ont divorcé quand j’avais 2 ans. Ma mère, d’origine tunisienne, m’a toujours mal aimée. Seule ma cousine Latifa, de seize ans mon aînée, comptait à mes yeux. Elle était mon modèle, mon inspiration. Malheureusement, elle est morte trop tôt, électrocutée par accident, en Tunisie. Mes parents n’étaient pas pratiquants. Ma mère n’a jamais porté le voile, par exemple. Mais depuis ce drame, je me suis intéressée à la religion. A la mort de ma cousine, j’étais en quête de spiritualité. J’ai donc abandonné mon look de sportive jogging-baskets pour le voile. Deux looks où la féminité n’est pas franchement assumée. Influencée par certaines de mes camarades de fac de sociologie, j’ai décidé de porter le voile à l’université. J’étais fière d’avoir, à mon tour, montré à tous mon amour de l’islam. Oui, il y avait une bonne part de narcissisme et sans doute un début de complexe de supériorité dans cette démarche. J’étais différente des autres. Je pense que ma fêlure narcissique a été le terreau idéal pour m’amener tout doucement sur le chemin du salafisme.
« Satan est partout, me dit-on, à la télé, dans la musique «
Ma rencontre avec le salafisme a eu lieu dans le salon d’un appartement de Mantes-la-Jolie, chez Hasnia. Ça avait l’air d’une rencontre spirituelle entre filles autour de gâteaux et de thé. Hasnia est venue nous chercher à la gare revêtue d’un voile intégral qu’on appelle « niqab » et qui la couvrait de la tête aux pieds. Seuls ses yeux maquillés étaient visibles. Moi, je ne portais alors que un simple voile. J’étais à la fois interloquée et intriguée. Hasnia avait 24 ans, un enfant, elle était d’origine marocaine, mariée religieusement à un Français de souche converti à l’islam et, surtout, Hasnia était salafiste. « Le seul vrai islam, nous expliqua-t-elle. Dans cette société, Satan est partout. Par exemple, à la télé ou dans la musique. Si nous ne faisons pas attention, si nous vivons comme les autres, le diable nous attrapera et nous écartera du chemin du paradis… »
« Bachir cherche une épouse pieuse et vierge »
A mon insu, cette femme a fait circuler mon numéro de téléphone portable parmi la communauté salafiste. Une jeune musulmane vierge était sur le marché : moi! Le mariage est la pierre angulaire du salafisme. Une femme salafiste ne peut être qu’une épouse dévouée à son mari, qui a les clés du paradis pour elle. Le lendemain, son réseau mettait un mari potentiel sur mon chemin. Bachir cherchait une épouse pieuse et vierge. Il avait entendu parler de mes grandes qualités et, sans hésitation, il avait décidé de me séduire assidûment. Il voulait même venir me rencontrer chez une sœur qui jouerait au chaperon.
Pourquoi n’ai-je pas raccroché ? Aujourd’hui encore, je me pose la question. Tout est allé si vite. Et puis, je dois admettre que j’étais flattée qu’un homme soit prêt à faire des centaines de kilomètres juste « pour faire connaissance ». Je me sentais désirée et précieuse. Il m’a eue avec ses belles paroles. « La femme, c’est comme une perle précieuse : elle doit être bien protégée dans sa coquille« , me disait-il. Son discours paternaliste et réducteur m’a séduite tout autant. Je rêvais que quelqu’un me protège. Nous avons entretenu une relation à distance puis, comme pour tout le reste, Bachir s’est invité en Tunisie lors de mes vacances d’été chez ma mère. Un seul objectif en tête : demander ma main.
« Tu es ma prisonnière et si tu n’es pas contente, c’est pareil »
Agacée par son aplomb, mais épatée par son audace, je me suis laissé berner. Nous nous sommes mariés quelques semaines plus tard. Voilà comment je me suis retrouvée, à 21 ans, du jour au lendemain, mariée à un homme que je connaissais à peine. De retour en France, mon petit voile ne suffisait plus. Bachir m’a emmenée dans les boutiques pour faire le plein de grands jilbabs de couleur sombre qui couvrent totalement le corps. J’ai quitté Rouen, mon appartement d’étudiante et mes études pour aller le rejoindre près de Roanne. Là, un appartement nous attendait, m’avait-il assuré. Mais en attendant que les travaux soient finis, nous devions aller chez mes beaux-parents. Les semaines ont passé et Bachir bottait en touche sur deux sujets : son travail d’employé dans une boutique informatique et notre appartement. Jusqu’au jour où il m’avoua la vérité. Il n’avait ni appartement ni travail et vivait des allocations: « Comprends-moi, je n’avais pas le choix, ma chérie ! Sans ça, tu ne m’aurais jamais épousé. Si je n’avais pas menti, ta famille n’aurait jamais accepté le mariage. » La foudre s’est abattue sur ma tête. Je me suis sentie prise au piège. Moi qui ne connaissais rien aux méthodes contraceptives, je suis tombée enceinte très vite après le mariage. « Tu es ma prisonnière, conclut-il, et si tu n’es pas contente, c’est pareil. » à suivre…