Rescapé de l’attentat de Nice, Sylvain apprend aujourd’hui à vivre sans sa femme et sa fille aînée. Seul avec ses deux plus jeunes filles à élever, il livre une belle leçon de courage et d’espoir.
Sylvain a perdu sa femme et l’une de ses filles dans les attentats de Nice. Il témoigne dans le magazine suisse L’Illustré pour ses deux autres filles, Kimea, 10 mois, et Djulia, 4 ans. Pour qu’elles sachent qu’elles sont, aujourd’hui, sa seule raison de vivre. Son unique rayon de soleil.
« Pourquoi maman n’a pas réussi à éviter le camion ? »
Le 14 juillet dernier, Sylvain Solioz, 34 ans, a perdu sa femme Cristina, 31 ans, et sa fille aînée Kayla, 6 ans, lors de l’attentat de Nice. Trois mois après le drame, ce père endeuillé tente de revivre normalement. Avec deux filles à élever seul, il doit avancer avec le chagrin. « Ce sont mes filles qui me permettent de tenir debout. Elles sont ma priorité. Je m’occuperai de moi plus tard », confie-t-il à l’hebdomadaire. En septembre, le trio a emménagé dans un nouvel appartement, près de Lausanne. Au milieu des cartons, Sylvain s’est parfois senti désemparé. Sa femme d’origine brésilienne n’est plus là pour l’aider à agencer les pièces. Dans la chambre des filles, il a rangé leurs vêtements et leurs jouets. Seul souvenir des jours heureux, le coffre à jouets rose qui appartenait à Kayla. Il n’a pas eu le courage de s’en séparer. Le jour de la rentrée scolaire, il a accompagné sa fille Djulia à l’école du quartier. Là où sa sœur Kayla était scolarisée l’an dernier. Les premiers retours de la maîtresse sont encourageants. Sa fille s’est bien intégrée. Mais Sylvain s’inquiète. Comment a-t-elle vécu le drame qui s’est noué sous ses yeux ? Est-elle hantée par les images insoutenables qu’elle a vues ? Djulia répète souvent : « Dis papa, pourquoi maman n’a pas réussi à éviter le camion ? » Sylvain manque de mots pour exprimer l’inexplicable.
Pour que la petite de 10 mois n’oublie pas l’odeur de sa mère, il a conservé des vêtements de Cristina
Et puis, il y a Kimea, la petite de 10 mois. Sa femme l’allaitait encore au moment du drame. La chaleur de sa mère a été remplacée par les biberons que Sylvain lui donne avec amour. Pour que la petite n’oublie pas l’odeur de sa maman, il a conservé quelques vêtements de Cristina. Chaque jour passé est une victoire. La reconstruction va être lente et éprouvante, Sylvain le sait. « On m’a volé mon bonheur », dit-il lorsqu’il repense à ce funeste 14 juillet. Sylvain n’était pas chaud pour passer les vacances à Nice. C’est Cristina qui y tenait. Alors il a dit oui pour lui faire plaisir. Le soir de la fête nationale, ils sont tous descendus sur la Promenade des Anglais pour le feu d’artifice. Vers 22 h 45, Sylvain voit un camion blanc. Il zigzague et fonce à tombeau ouvert sur la foule. Tout se passe très vite. Cristina, qui portait Kimea, et Kayla sont percutées de plein fouet par le camion de 19 tonnes. « J’ai tout de suite pris dans mes bras notre bébé tombée sur le sol, heureusement indemne. Cristina était allongée par terre, encore consciente… Il y avait Kayla, à son côté, couchée au milieu d’une mare de sang. » Lorsque les secours arrivent, ils posent des électrodes sur le torse de son épouse. « Quand j’ai vu la ligne plate de l’encéphalogramme, j’ai su qu’elle était morte. » Kayla et Djulia sont emmenées dans une ambulance dans laquelle il n’est pas autorisé à monter. Sa petite dernière dans les bras, Sylvain parcourt 3 km à pied pour rejoindre l’hôpital. Après des heures d’attente, il est convoqué dans un bureau où trois personnes l’attendent. Aux visages tendus, il comprend. Il n’a jamais revu Kayla vivante. Sylvain n’a pas de haine contre celui qui a tué 86 personnes et fait 434 blessés. Il n’a pas de place pour ce sentiment-là. « Cela ne servirait à rien. Je veux juste m’occuper de mes filles. »