Alors que tout, en France, l’en empêche, Sabine est parvenue à retrouver l’identité de sa mère biologique. Pendant quatre ans, la jeune femme s’est battue pour renouer avec ses origines. Elle nous raconte sa quête identitaire.
« Passée sous silence », dépossédée de ses origines, il lui fallait « effacer le X », ce néant abyssal, pour y écrire son histoire, et tout simplement se trouver. En 2008, quelques jours après le suicide de son père, Sabine Menet, 33 ans à l’époque, découvre l’impensable. De la bouche même de celle qu’elle avait toujours pensé être sa mère, elle apprend qu’elle a été adoptée à l’âge de 9 mois : « En larmes, elle m’a annoncé qu’elle n’était pas ma maman, elle qui prétendait le contraire depuis plus de trente ans. Tous ceux qui m’entouraient avaient toujours su. Mes parents, mes oncles, mes tantes, les voisins, les amis de la famille, même le médecin. C’est une trahison terrible dont je peine encore à me remettre. » Une découverte brutale et tardive, bientôt suivie d’une autre révélation. Sabine est née sous X. De sa mère de naissance, seule lui reste une croix tracée sur le procès-verbal d’abandon pour renseigner son nom. Soudain privée de racines, la jeune femme se lance alors dans une incroyable enquête pour connaître ses origines.
Elle se découvre trois actes de naissance
Un parcours du combattant qu’elle raconte dans un livre passionnant et poignant, Née sous X, l’enquête interdite (Lemieux Editeur) . « J’étais en grande souffrance morale et physique. Je me suis accrochée à l’idée que je devais trouver pour aller mieux. » Durant quatre années de recherches, cette journaliste de profession est propulsée dans les dédales kafkaïens de l’administration qui organise l’anonymat des données de naissance. Un exemple en résume à lui seul la complexité et le caractère polémique. Au cours de son enquête, Sabine, qui se rapprochera, entre autres, du conseil général, puis du CNAOP (Conseil national pour l’accès aux origines personnelles) se découvre ainsi non pas un… mais trois actes de naissance. « L’Etat français a, durant des années, établi des actes de naissances fictifs. Dans mon cas, le premier a été délivré à ma naissance, dans la commune où je suis vraiment née. Sous le nom de Sabine Nathalie, puisque, comme tous les enfants abandonnés, on m’a attribué pour patronyme un second prénom. Le deuxième a été établi six mois plus tard, dans une commune où je n’ai pas vu le jour, sous le nom de Sabine Nadeau, inventé de toutes pièces par l’administration. Le troisième acte de naissance apparaît dans cette même commune où je ne suis pas née, sous mon nom adoptif, dans le cadre de l’adoption plénière. Sur ce document, il est donc stipulé, comme le prévoit la loi, que je suis née de mes parents adoptifs. Ce qui est un déni de réalité, dangereux aussi bien pour eux que pour moi et pour celle qui m’a donné la vie. »
« L’accouchement sous X
est une maltraitance civile et sociale »
Exception française – ou presque, seuls l’Italie et le Luxembourg le pratiquent dans certains cas -, l’accouchement sous X, règne de l’opacité et du culte du secret, est, aux yeux de Sabine, une « maltraitance civile et sociale ». « Notre droit prétend protéger les intérêts de l’enfant. Mais quel est son intérêt à ne pas connaître son histoire ? Comment accepter que ces informations existent et qu’on vous y refuse l’accès ? C’est la double peine institutionnalisée. Après celle d’avoir été abandonné à la naissance, on vous dépossède de votre droit à la recherche de vos racines. L’Etat oublie que les enfants nés sous X sont des adultes en devenir et que leur construction et leur vie sont ainsi rendues plus complexes et douloureuses encore. » Face au silence assourdissant de l’administration, Sabine prend alors le parti de tricher elle aussi. Qu’il faille entrer en secret dans un conseil général ou consulter discrètement son dossier laissé sans surveillance par une fonctionnaire, elle ira jusqu’au bout pour forcer l’Etat à délivrer les informations vitales qu’il lui refuse : « Les dés sont pipés dès le départ, et puis c’est l’administration qui a commencé ! » sourit-elle.
« Quand j’ai rencontré ma mère biologique, je lui ai serré la main et l’ai appelée Madame »
Au bout de ce long chemin de croix, la jeune femme finira par retrouver sa mère biologique qui, se sentant d’abord trahie, elle qui se croyait protégée par le secret, accepte finalement de la voir. « Quand je l’ai rencontrée pour la première fois, je lui ai serré la main et je l’ai appelée « Madame ». Cela paraît glaçant, mais il n’y avait alors rien d’autre à faire, se souvient Sabine. Après des débuts difficiles, nous continuons de nous voir, et à écrire ensemble ce nouveau chapitre. Plus que jamais, je suis persuadée que le X est une aberration. La solution est dans la parenté multiple. S’il avait été possible pour une femme de renoncer à son enfant sans subir l’opprobre, j’aurais eu une autre vie que la mienne. Et elle aussi. Ma naissance n’aurait pas été un secret à porter comme une croix. Mes origines n’auraient rien eu d’obsédant. Je serais née d’une mère qui ne voulait pas être mère. J’aurais fait avec. Mon histoire adoptive n’en aurait été que plus belle. Le regard de la société doit changer. »