En acceptant un CDD d’infirmière dans une clinique d’Ajaccio, Rolande, 57 ans, pensait s’offrir un moment de douceur de vivre en Corse. Mais jamais elle n’aurait imaginé vivre tel un drame.
Rolande est marquée. Parce qu’une épreuve pareille, on ne s’en remet jamais vraiment. C’est sur un ton ému, mais d’une voix maîtrisée, que cette infirmière dans le libéral jusqu’à peu se confie. En mars, Rolande, originaire des Bouches-du-Rhône, accepte une mission dans une clinique d’Ajaccio : « J’étais fatiguée par le libéral. Je voulais voir autre chose, et j’ai toujours aimé la Corse. » Elle sympathise avec trois infirmières, Marie-Claire, Marjorie et Laetizia, qui, comme elle, sont là pour une durée limitée. Elles s’installent dans une pension de famille. « Je me promenais souvent sur le marché d’Ajaccio, où j’ai rencontré Laëtitia Lopez, qui vendait de la charcuterie. C’est la première amie que je me suis faite ici. C’était un vrai rayon de soleil ! Elle m’appelait «Mon infirmière adorée»… »
« Tout s’est écroulé, le silence qui suit est terrifiant »
Pour fêter leur premier week-end commun de repos, les quatre infirmières organisent une virée. Nous sommes le dimanche 27 avril, le temps est radieux, elles décident de pique-niquer. Sur le marché de Porto-Vecchio, elles courent les étals pour acheter leur repas : « On est tombé sur Laëtitia. Elle nous a convaincues de venir déjeuner avec elle et quelques amis après le marché, dans une paillote où tous avaient leurs habitudes. » En riant, les infirmières se rendent sur place. Le lieu est magnifique. Le patron, très fier – son établissement rénové a rouvert la veille – les installe sous la paillote, face à la mer. Le repas se déroule dans la bonne humeur. « Laëtitia n’arrêtait pas de raconter des blagues et de nous faire rire, comme toujours. » Mais alors que la bande demande l’addition… « Tout s’est écroulé », résume Rolande, bouleversée. Elle se souvient du toit qui bouge et s’effondre d’abord par la droite, puis plus rien. « Le silence qui suit est terrifiant. On croit que ça fait des heures que ça dure. Des heures pour que le toit nous tombe dessus, des heures que règne un silence de mort. » Puis les cris, la panique.
« Je me suis extirpée en rampant hors des décombres »
« J’ai tout pris sur le dos et la tête, se souvient-elle. Je ne sais toujours pas comment, mais je me suis extirpée en rampant hors des décombres, et j’ai plongé sur la plage en contrebas. » Rolande se souvient de ce paysage de guerre. Deux de ses amies parviennent à sortir la quatrième et à la porter sur le sable, elle a le bassin fracturé. « Les secours sont arrivés. On m’a emmenée à l’hôpital. J’ignorais ce qu’il en était des autres. De Laëtitia surtout. Je n’ai su que trois jours après qu’elle était décédée. » Rolande, qui a souffert d’un enfoncement de la cage thoracique et de multiples contusions, nécessite au quotidien des soins, physiquement et psychologiquement : « Je reste obsédée par les derniers mots de Laëtitia, par son rire. Désormais, dès que j’entends le moindre bruit, je hurle. Le choc post-traumatique est énorme. » Son avocate au barreau de Marseille, Me Isabelle Terrin, confirme : « Rolande vit dans une vision spectrale pour le reste de ses jours et de ses nuits, avec la culpabilité qui doit aller avec. »
« Aujourd’hui, j’ai le sentiment d’être abandonnée »
Ses trois amies, reparties dans leur région, gardent un lien très fort avec Rolande. Mais elle ne veut pas quitter la Corse : « Je veux rester parce que j’aime profondément cet endroit. Même si, aujourd’hui, j’ai le sentiment d’être abandonnée, notamment par les politiques qui ont totalement ignoré cette affaire. Je ne sais même pas si je pourrai retravailler un jour. » Rolande a trois filles, deux vivent à l’étranger, une en France : « Mais je ne veux pas l’embêter, elle est avec son mari et ses enfants. Je me suis toujours débrouillée seule. Heureusement, le personnel hospitalier du centre de rééducation qui s’occupe de moi au quotidien est formidable. » Rolande espère beaucoup du procès. Pour elle, pour les dix victimes et pour la mort de son amie. « Pour nous aider, pour aider la mère de Laëtitia qui a repris l’activité de sa fille, pour punir aussi. » Car même si Rolande n’en veut pas au propriétaire, elle ne comprend pas qu’une construction aussi fragile ait pu être érigée : « Ce n’était rien d’autre qu’un chalet de montagne posé sur du sable. Comment cela pouvait-il tenir ? » L’enquête est en cours, à l’issue de laquelle, sans doute, le procès pourra débuter.