VIDEO. Rescapée du salafisme, Henda Ayari se dévoile et raconte à Closer son endoctrinement et sa résurrection.
« Je te répudie ! », me crie Bachir en claquant la porte, nos économies en poche. Me laissant seule avec trois enfants, sans rien : je n’ai même pas de compte en banque à mon nom. « Répudier » signifie « renvoyer sa femme suivant les formes religieusement légales ». Cette phrase, nombreuses sont les musulmanes qui, comme moi Henda Ayari, en connaissent la portée. En 2016, en France, des milliers d’hommes l’utilisent. Car évidemment, seul l’homme a le droit de répudiation. Rien de plus facile pour lui que de divorcer : il lui suffit de prononcer les paroles adéquates devant sa femme. Et nul besoin d’autre témoin que Dieu.Sans mariage civil légal, du jour au lendemain, un mari musulman peut jeter son épouse dehors et prendre une nouvelle femme. Précision : un homme a le droit de répudier la même femme trois fois.
La polygamie, une action halal, autorisée pour les salafistes
Les salafistes aiment particulièrement choisir de toutes jeunes filles, fraîchement converties, souvent un peu naïves, immatures, qui croient au prince charmant et acceptent facilement de ne se contenter que d’un mariage religieux. Une fois répudiée, une femme salafiste ne peut rester seule. Encore moins avec ses enfants. Enfermée dans son apparence, le port du jilbab et ses convictions (comme ne pas côtoyer de collègues de sexe masculin), elle est dépendante d’un mari. Les femmes salafistes répudiées sont donc prêtes à accepter quasiment n’importe quel époux, même déjà marié. Les hommes et les femmes salafistes parlent de « faire la polygamie ». Pour les salafistes, on n’est pas polygame, on « fait la polygamie ». C’est une action « halal » puisque autorisée par Allah. Dans la communauté salafiste, mes anciennes amies, que je surnommais « mes sœurs », m’ont tourné le dos. Répudiée, je représentais une rivale pour elles. Pour les hommes, j’étais devenue une proie. On m’a clairement expliqué que, si je voulais être aidée, il fallait que j’accepte d’épouser religieusement un autre homme. Pour moi, cela signifiait avoir des relations intimes sous couvert de mariage religieux. J’ai trouvé ça malsain et j’ai ouvert les yeux sur l’hypocrisie de la communauté salafiste.
« Votre mari est votre tortionnaire, mais c’est vous qui l’avez choisi »
Possessif et jaloux, Bachir a décidé de revenir. Pas pour moi, mais pour que je n’épouse surtout pas un de ses frères salafistes qui s’en serait vanté dans la communauté. Pour moi, il était temps d’organiser ma fuite. Pendant ma répudiation, sur les conseils d’une assistante sociale, j’étais suivie par un psychologue. Après lui avoir raconté que mon mari avait voulu prendre une seconde épouse, le psy m’a dit : « Madame, vous seule avez la clé de votre propre prison. C’est vous qui l’avez bâtie, cette prison. Oui, vous ! Votre mari est votre tortionnaire, mais c’est vous qui l’avez choisi. C’est vous qui avez accepté cette vie. » Ce fut mon déclic. Il est possible de se libérer des chaînes du mariage salafiste, j’en suis la preuve. J’ai récupéré mes papiers et ceux des enfants cachés par Bachir. J’ai organisé le départ. Si mon mari se rendait compte que je tentais de lui échapper, il aurait été capable de me tuer. Mais il me fallait un point de chute, pas question d’errer dans les rues avec trois jeunes enfants.
« J’ai fui le matin où il est allé demander un visa pour l’Arabie saoudite »
Je voulais retrouver mon ancienne vie dans ma ville natale. J’ai lancé un appel à l’aide à un gardien d’immeuble, un homme très gentil d’origine algérienne. Je lui ai raconté au téléphone ce qu’était devenue ma vie, que mon mari me séquestrait et avait confisqué mes papiers, qu’il me frappait. Je voulais m’évader avec mes enfants, mais je n’avais aucun endroit où dormir. Je lui ai demandé s’il pouvait m’aider à obtenir un appartement, même tout petit. Touché, il s’engagea à m’aider à trouver une solution et il tint parole. Bachir voulait que nous partions nous installer en Arabie saoudite. J’ai fui le matin où il est allé au consulat demander un visa. Je savais que, si nous partions, je ne pourrais plus revenir. En tout cas, pas avec mes enfants. Il est parti tôt, à 5 heures du matin. De mon côté, j’avais réservé un taxi. Le chauffeur à qui j’avais raconté mon histoire avait accepté d’accrocher une remorque à l’arrière de son véhicule pour y mettre nos affaires. En quelques minutes, les enfants et moi étions à bord, en chemin vers la liberté, vers la sécurité. Loin du monstre, loin de la prison dans laquelle j’avais croupi presque dix ans.
« J’ai abandonné, sans regret le voile salafiste »
Notre nouvelle vie a commencé. Après avoir vécu un temps en foyer, j’ai pu signer un bail pour un petit appartement. Là, ça a été la libération. De son côté, Bachir m’a à nouveau répudiée. Le divorce civil a été prononcé en 2007. Bon débarras ! J’ai cherché du travail. J’avais vécu près de dix ans coupée du monde, dans une bulle, une secte. J’ai écrit un livre ( J’ai choisi d’être libre chez Flammarion ) qui raconte ce parcours. Le retour à la réalité a été difficile. Il a fallu que je me libère aussi de mes chaînes mentales. Aujourd’hui, je suis reconnectée à la vraie vie. Pour nourrir mes enfants et leur offrir une existence digne, j’ai choisi d’abandonner le voile salafiste. J’ai compris que je pouvais être musulmane sans être salafiste. Je vois de plus en plus de jeunes filles porter le jilbab. Prennent-elles la mesure de ce que cela signifie ? Moi, je le sais : je l’ai vécu. Le voile salafiste est un uniforme. On se sert du corps de la femme comme d’un symbole, d’un étendard pour une doctrine qui vient d’Arabie saoudite. Une doctrine qui nie les valeurs de notre société laïque, les lois de la République, et qui rejette les non-musulmans. Ce n’est pas ça, l’Islam. On peut lier Islam et « vivre ensemble ». Aujourd’hui, je peux dire Henda Ayari est une femme libre!