Stéphanie adorait l’école, jusqu’à son entrée en sixième au collège de Sézanne, dans la Marne. Tête de Turc d’une poignée d’élèves, sa scolarité tourne au cauchemar. Insultes, coups, humiliations : elle est persécutée dans l’indifférence générale. Un acharnement qui provoquera chez elle une phobie scolaire suivie d’une tentative de suicide. Pour Closer, Stéphanie raconte son calvaire afin d’alerter sur les dangers du harcèlement à l’école.
J’ai été la victime de harcèlement scolaire et d’intimidation. J’ai vécu un véritable cauchemar pendant quatre ans. J’étais le vilain petit canard, le souffre-douleur du collège. Pas un jour sans qu’on me violente, qu’on me pince, qu’on me crache dessus, qu’on me tire les cheveux, qu’on me bouscule, qu’on m’insulte… A force d’entendre que j’étais affreuse, une moins que rien, que je ne valais rien et que j’étais inutile, ça s’est imprimé dans mon esprit comme une évidence. Puisqu’ils le disent et que personne ne proteste, alors ils ont raison. J’ai fini par y croire et j’ai commencé à développer une phobie scolaire et à faire de l’absentéisme. En cours, ma chaise était régulièrement vide. Impossible de me résoudre à prendre le bus scolaire qui allait me conduire sur ce lieu de brimades. L’angoisse que je ressentais me prenait tellement aux tripes que, le matin, je vomissais. J’étais submergée par la peur. Ça me rendait malade. J’avais des crises d’angoisse, des attaques de panique, des séances de larmes, des sueurs froides et des insomnies.
Mes harceleurs bénéficiaient d’une totale impunité
Les visites chez le médecin sont devenues régulières, les certificats médicaux aussi. Malheureusement, il a fallu du temps pour réaliser que je souffrais de phobie scolaire. C’est un trouble anxieux encore trop méconnu, même par le corps médical. Il faut pourtant comprendre que ne plus pouvoir aller à l’école, ce n’est pas être un cancre ou un paresseux : c’est avoir besoin d’aide ! De retour au collège, à peine avais-je fait tamponner mon mot d’absence que les élèves recommençaient à me persécuter. « Tiens, t’es de retour ? C’est mieux quand tu n’es pas là », « Tu vas encore dire que tu étais malade, mais on sait tous que tu n’as rien ! » J’avais beau me taire, faire profil bas, tenter de les ignorer : rien ne les arrêtait. Mes harceleurs bénéficiaient d’une totale impunité. L’immobilisme ou l’aveuglement de l’équipe pédagogique était réel. Bien sûr, j’ai tenté de les alerter. Un jour, j’ai osé me plaindre au CPE. Deux harceleurs ont été exclus deux jours. Mais les représailles que j’ai subies m’ont fait comprendre que, si j’étais dans mon bon droit, je n’étais pas du côté de la force. Celle qui humilie, qui déshumanise, qui vous fait sentir transparent.
Ils m’ont dénudée au milieu de la cour et personne n’a réagi
Un midi, en sortant de la cantine, c’est allé plus loin. Des élèves de troisième m’ont encerclée, ils m’ont dénudée en plein milieu de la cour et personne n’a réagi. J’ai dû me relever seule, me rhabiller et poursuivre mon chemin tête baissée, comme si de rien n’était. J’avais tellement honte. Aujourd’hui encore, en y pensant, j’en ai les larmes aux yeux. A partir de ce jour, j’ai décroché. Maman me forçait à aller à l’école. Tout le monde a minimisé mon calvaire, mes parents n’ont pas pris la mesure de ma souffrance. J’ai fait part de mes ennuis et de mes difficultés. Mais j’avais beau crier, supplier, on ne m’a pas crue. Comment leur faire comprendre que c’était plus que des broutilles d’écoliers? Alors j’ai tout gardé pour moi. Pour soulager ma douleur intérieure, je blessais mes bras à coups de compas. Je cachais les marques sous des manches longues. Un soir, en rentrant d’une nouvelle journée d’enfer, dans ma chambre, mon seul refuge, j’ai implosé.
Rouge, en larmes, suffocante, j’étais prête à sauter dans le vide
A bout de force, désespérée de voir à quel point ma vie tournait mal, j’ai baissé les bras, vaincue. Difficile de croire qu’à 13 ans, on puisse se dire que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue ? Ça m’a pourtant paru être, sur le moment, la solution la plus simple. Quand la peur de vivre dépasse celle de mourir, à quoi bon continuer ? J’ai fini par me convaincre que je n’avais pas d’autre choix que de m’en aller pour retrouver ma liberté. J’étais à l’étage dans ma chambre, j’ai ouvert la fenêtre, j’ai mis une ceinture autour de mon cou et j’ai serré. Rouge, en larmes, suffocante, j’étais prête à sauter dans le vide. A ce moment, je me fichais d’être égoïste, de faire de la peine à maman et à mes deux petites sœurs. Heureusement, c’est peut-être un sixième sens, maman a surgi à ce moment-là et elle m’a retenue.
Il est temps que les adultes prennent leurs responsabilités
J’aimerais vous dire que tout s’est arrangé mais, faute d’un suivi scolaire et psychologique adapté, peu de choses ont évolué. J’ai fait d’autres tentatives, moins graves, qui étaient des appels à l’aide. J’ai arrêté l’école en seconde. Pourtant, j’aime lire, écrire, apprendre. Aujourd’hui, à 18 ans, je suis suivie par un spécialiste qui connaît les mécanismes de la phobie scolaire et sociale. Car je suis tétanisée dans mes rapports aux autres. J’espère reprendre mes études. J’ose avoir des projets, j’ai compris que, la victime, c’était moi. J’ai écrit un livre sur mon expérience et j’ai reçu de nombreux témoignages de soutien. Le harcèlement scolaire existe, il ne faut pas le minimiser. Surtout, il est temps que les adultes prennent leurs responsabilités.
On a poignardé ma jeunesse, de Stéphanie Vicente (éd. Edilivre)
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Feuilleton 2/2 : Stéphanie a vécu l’enfer du harcèlement à son entrée au collège.