Le 20 avril 1999, Dylan Klebold et Eric Harris tuent douze élèves et un professeur. Sue, la mère de Dylan, espère empêcher d’autres tragédies. Elle témoigne pour la première fois.
Jusqu’ici, elle avait toujours refusé de s’exprimer. Paralysée par le chagrin et la crainte de provoquer une « nouvelle explosion de rage et de colère » contre sa famille. Si Sue Klebold a décidé de briser le silence, ce n’est pas pour soulager sa conscience, mais dans l’espoir qu’en rendant son histoire publique, elle puisse épargner à d’autres des souffrances. « Comme la mienne, comme celle de mon fils, et des victimes de mon fils. » Son long chemin vers l’acceptation, cette mère digne, mais marquée au fer rouge par la tragédie, le retrace dans un livre choc qui vient de paraître, Columbine : Comment mon fils a-t-il pu tuer ? ( éd. Robert Laffont). Une question qui, dit-elle, la hantera jusqu’à la mort.
Dylan et un camarade, Eric Harris, ont tué douze élèves et un professeur et fait des dizaines de blessés
Mère de famille sans histoire, épouse comblée, l’unique souci qui occupe son esprit ce 20 avril 1999 est la « santé déclinante de Rocky, le vieux chat adoré de la famille ». Il suffira d’un appel pour que tout s’effondre : » Chérie, rappelle-moi, c’est une urgence, c’est au sujet de Dylan. Une fusillade est en cours au lycée de Columbine. » Effroi et confusion. Dans les heures qui suivront, Sue et son mari, pendus au téléphone et devant la télévision, vont de Charybde en Scylla. On n’a pas fait de mal à leur fils cadet adoré. Non, c’est pire : il est l’auteur de la fusillade. Dylan et un camarade, Eric Harris, ont tué douze élèves et un professeur et fait des dizaines de blessés. « Comme toutes les mères de Littleton, j’avais prié pour que mon fils soit sain et sauf. Quand j’ai entendu parler de vingt-cinq morts, ma prière n’a plus été la même. Si Dylan blessait ou tuait des gens, il fallait l’arrêter. En tant que mère, c’est la prière la plus difficile que j’aie jamais faite dans le silence de mes pensées. Mais, je l’ai compris à cet instant, la plus grande grâce que je pouvais demander au ciel n’était pas que mon fils soit sain et sauf, mais bien qu’il soit mort. » Un souhait glaçant, mais exaucé. Eric et Dylan ont mis fin à leurs jours. Leur attaque restera la plus meurtrière de l’histoire américaine jusqu’à la tuerie de l’école primaire Sandie Hook, en 2012.
Dépressif et suicidaire, Dylan était en réalité une bombe à retardement
Il faudra beaucoup de temps à Sue, passée en quelques heures du statut de mère de famille idéale à celui de parent de tueur de masse, pour accepter l’idée que son fils sans problème, son « Monsieur Soleil, un si bon gamin qui lui avait toujours donné le sentiment d’être une bonne mère » n’avait pas agi contre son gré ou sans conscience de la gravité de ses actes. Malgré son éducation non violente, malgré l’amour de sa famille, malgré son intelligence et sa sensibilité, Dylan, 16 ans, sous l’influence d’un copain dérangé et dominateur, et de films violents, rêvait d’imiter Tueurs nés, d’Oliver Stone. Pour semer la terreur et la mort : « Je passerai le reste de ma vie à tenter de réconcilier la réalité de l’enfant que j’ai connu avec ce qu’il a fait », écrit sa mère. Fouillant dans ses affaires et dans leur vie passée, Sue découvre alors la détresse psychologique de son fils. Dépressif et suicidaire depuis plusieurs années, Dylan, arrêté pour un banal vol quelques mois avant la tragédie, était en réalité une bombe à retardement. N’ayant pas repéré cette souffrance silencieuse, Sue tente toujours de se pardonner de ne pas avoir vu ni pu protéger son fils… et ses victimes. « C’était mon travail de mère et j’ai échoué. » Malgré cette douleur indicible, l’Américaine refuse que les ténèbres ne l’emportent. Désormais engagée dans la prévention du suicide, elle ne cesse de rappeler aux parents que le pire peut advenir même dans les familles heureuses. Et que, conscients de ce danger toujours possible, ils doivent tout faire pour rester à l’écoute de leur enfant.
« Je voudrais avoir pu échanger ma vie contre ces vies disparues »
Sue, qui a pourtant perdu son mariage et sa santé dans son douloureux questionnement, se dit aujourd’hui « en paix ». Son salut, elle l’a trouvé en se consacrant aux autres : « Je voudrais avoir su ce que Dylan projetait. Je voudrais l’avoir arrêté. Je voudrais avoir pu échanger ma vie contre ces vies disparues. Mais, après mille « je voudrais » éperdus, je sais que je ne peux pas revenir en arrière. Je m’efforce de mener une existence qui fasse honneur à celles et ceux dont mon fils a brisé ou volé la vie. Le travail que je fais, je le dédie à leur mémoire. Mais ce travail, je le fais aussi pour l’amour que je conserve à Dylan, qui restera toujours mon enfant, en dépit des horreurs qu’il a perpétrées. »