Le père de son enfant, radicalisé, a obtenu un droit de visite sans surveillance. Pour mettre son fils en sécurité, Léa a décidé de vivre caché et hors la loi.
« Le père de mon fils a parlé d’enlever mon enfant pour l’emmener dans une terre d’islam », soupire Léa, 21 ans. Bachir, 22 ans, le père de l’enfant, est issu d’une fratrie radicalisée connue des services de police. Plusieurs de ses aînés ont rejoint la Syrie pour faire le djihad. Depuis le 17 juin, Léa vit dans l’angoisse de voir son petit Fouad, bientôt 2 ans, kidnappé par son ancien compagnon. Ce jour-là, le juge aux affaires familiales a accordé un droit de visite non surveillé à Bachir, à raison de sept heures sans surveillance, un samedi par mois. « Pour moi, ce n’est pas acceptable, tranche Léa. En sept heures, il aurait le temps de s’enfuir avec le petit. J’étais pourtant prête à accepter un droit de visite médiatisée [dispositif utilisé en protection de l’enfance, NDLR]. Jamais je ne lui laisserai sans surveillance. »
Léa a fait appel de la décision du magistrat. « Pour protéger mon enfant, je suis contrainte de refuser d’appliquer une décision de justice. » Alors la jeune maman vit incognito, ne travaille plus et refuse de confier son petit à quiconque. Son avocate, Me Samia Maktouf tempête : « Léa ne veut pas être hors la loi, mais on l’oblige à l’être. En tant que maman, elle ne mettra pas son fils en danger. Ma cliente ne conteste pas le droit de visite, mais elle ne veut pas laisser un homme dangereux seul avec un bébé de 18 mois. Là, il y a un risque d’enlèvement vers un pays où notre diplomatie serait démunie. »
« Bachir voulait me couper du monde, m’éloigner de mes amis »
L’amourette adolescente a tourné au cauchemar. Léa a 15 ans lorsqu’elle rencontre Bachir via un blog pour ados. L’incarcération de Bachir met un terme à leur flirt. Il reprend un an plus tard, et Bachir s’installe même chez les parents de Léa qui croient à la seconde chance. « Je me suis convertie. J’ai fait mon chemin seule. Je n’ai jamais porté le voile. Progressivement, Bachir a montré des signes de radicalisation. Il n’écoutait plus du tout de musique. Il voulait me couper du monde, m’éloigner de mes amis et de ma famille en disant que c’était des personnes mécréantes. »
Léa tombe enceinte à 19 ans. La radicalisation de son conjoint, sous influence de sa fratrie, s’accentue. « Bachir regardait des films de propagande jour et nuit. Il voulait que nous quittions la France pour vivre dans un pays musulman. La pression était constante. » Malgré les désaccords, les parents de Léa assistent impuissants aux changements chez leur fille. De peur de la perdre définitivement, ils restent à son écoute. « Mes parents m’ont sauvée. A l’époque, je vivais encore sous leur toit. Sans eux, je ne sais pas où je serais aujourd’hui. » Et puis, le grand déclic a lieu autour de six mois de grossesse. « En sentant mon bébé bouger dans mon ventre, j’ai retrouvé la raison. Je me suis opposée à l’éducation radicale que Bachir voulait donner à notre enfant. «
Le juge des Affaires familiales ne suivra pas la requête de Léa
Léa se sépare de Bachir. Elle accouche d’un bébé en pleine santé. Bachir vient lui rendre visite à la maternité, mais ne déclare pas son fils à l’état civil. Léa accepte cependant qu’il le rencontre en présence de ses parents. Un an plus tard, Bachir entame une procédure judiciaire pour obtenir un droit de visite. Léa ne s’oppose pas au droit de visite mais sous surveillance. Le juge aux affaires familiales ne suivra pas sa requête. Une décision incompréhensible pour l’avocate de Léa : « Ce n’est pas un simple conflit familial, s’insurge Me Samia Maktouf. Le magistrat aurait dû interpeller le procureur de la République pour avoir la fiche du père de l’enfant. Il y a un déficit de formation des magistrats en droit de la famille ou du travail sur les questions de lutte antiterrorisme. » En attendant, pour éviter un rapt de son fils, Léa reste hors la loi.