Le projet de loi sur la famille, qui avait été reporté par l’Etat en 2014, devait faciliter l’adoption simple des enfants placés par l’aide à l’enfance. Depuis, en mars 2016, cette loi a enfin été promulguée. Closer donne la parole à Johanna, à Nantes, l’un des enfants qui, en 2014, n’avait pas pu en bénéficier.
Johanna est en colère, mais surtout triste. Son parcours illustre bien les écueils des placements d’enfants par l’Aide sociale à l’enfance (ASE). En France, entre 500 et 600 nourrissons sont placés chaque année. Johanna est l’un d’eux. A la naissance, les bonnes fées ne se sont pas penchées sur son berceau. « Ma sœur jumelle, née handicapée, et moi, nées prématurément, avons été retirées à mes parents dès notre naissance, pour aller en pouponnière. Mes parents biologiques avaient refusé un placement en famille d’accueil, car ils ne reconnaissaient pas leur inaptitude à s’occuper de nous. Mes parents se sont rencontrés dans un institut spécialisé. Mon père y soignait son alcoolisme et ma mère était en grande dépression. » Puis, un juge a décidé de confier les fillettes à une famille d’accueil.
Johanna se sent écartelée dans un conflit de loyauté entre les deux familles
« Nous sommes arrivées à l’âge de 10 mois dans cette famille pour ne plus en repartir. Ce fut la meilleure chose qui pouvait nous arriver », affirme Johanna. Les jumelles auront la chance de ne pas être ballottées de famille en famille, et de grandir paisiblement avec les deux fils biologiques du couple. Quelques années plus tard, deux fillettes rejoindront cette fratrie du cœur. Aujourd’hui, à 20 ans, Johanna y vit toujours. Presque en catimini, car sa famille n’est plus sous contrat avec l’ASE pour s’occuper d’elle. Ses parents de cœur n’ont aucun droit ni devoir envers Johanna qui, « légalement, n’est rien pour eux ». Comme les parents de Johanna n’ont pas renoncé à leur autorité parentale, elle n’est pas adoptable. Ainsi, Johanna s’est longtemps sentie écartelée dans un conflit de loyauté entre famille d’accueil et parents biologiques.
« Je considère ma famille d’accueil comme de vrais parents »
« Très jeune, j’ai compris que mes parents ne s’occuperaient jamais de nous. Mais les services sociaux nous poussaient à entretenir un lien coûte que coûte. Il est arrivé que mes parents ne donnent aucun signe de vie et ne viennent pas nous voir pendant des années. Malgré ça, on me demandait de les appeler «papa et maman» lors des visites encadrées. » Johanna n’en veut pas à ses parents biologiques. Elle désapprouve surtout les services sociaux qui n’accordent pas plus de poids à la parole de l’enfant. « Les moments où je m’épanouissais le mieux, c’était clairement quand mes parents n’étaient pas là. » Lors des audiences devant le juge, Johanna exprime son mal-être et demande à être exemptée des visites. A l’époque, elle traverse des périodes d’anorexie et de phobie scolaire. « Une fois, un juge m’a écoutée, mais c’est très difficile de faire entendre sa voix. » Johanna regrette que les liens du sang priment toujours. « Moi, j’aurais voulu être adoptée. Je considère ma famille d’accueil comme de vrais parents, mais ça ne se dit pas. Pendant toute notre enfance, on nous bride dans notre affection, notre attachement. »
Aujourd’hui, Johanna est hébergée par ses parents de cœur
En octobre 2011, un malaise s’installe chez l’adolescente, jusqu’à la « connerie », comme elle dit. Johanna se plaint à son père biologique de violences de la part de sa famille d’accueil. « Mes accusations étaient fausses. En janvier, on m’avait dit : «Vous allez avoir 18 ans. De toute façon, ce ne sont pas vos parents, il faut laisser la place à d’autres.» » La situation lui échappe. Johanna et sa jumelle ainsi que deux autres fillettes, des sœurs de 8 et 10 ans, sont retirées de la famille d’accueil. « L’ASE n’a jamais voulu entendre ma version des faits. » Aujourd’hui, Johanna est hébergée par ses parents de cœur, qui lui ont pardonné. Elle bataille pour garder contact avec les fillettes qui ont grandi avec elle. « Ce sont comme des petites sœurs. On se voit de temps en temps, mais rien de stable, car on n’a pas de liens du sang. Les services sociaux ne tiennent pas compte de l’attachement qui se tisse dans nos familles d’accueil. » Les enfants placés ont, eux aussi, besoin d’amour et de stabilité pour grandir.