Atteinte d’une forme rarissime d’amnésie, Naomi, une Britannique de 32 ans vivant à Manchester, a effacé sa vie d’adulte. En 2008, elle se réveille persuadée qu’elle a 15 ans. Pendant deux mois, elle vivra cet étrange « retour vers le futur », avant de réunir enfin en elle l’ado et la femme.
Je me réveille en sursaut. Mon cœur bat à 100 à l’heure. Je baisse les yeux. Mon pyjama est trempé de sueur. J’ai dû faire un cauchemar… Je tourne la tête. A droite, à gauche. L’angoisse ! Ce n’est pas ma chambre ! Rien. Je ne reconnais rien. Où est-ce que je suis ? Où est passé mon lit superposé… et ma housse de couette Marilyn Monroe ? Pourquoi est-ce que je n’entends pas ma sœur ronfler dans son lit au-dessus du mien ? Je me concentre un instant. La maison est silencieuse. A cette heure-là, mes parents devraient être dans la cuisine à préparer le petit-déjeuner… Bon sang, qu’est-ce qui se passe ? Je m’assieds sur le bord du lit. Il faut que j’essaie de me calmer. Je ferme les yeux. Je me parle à voix haute : « Respire. Tout va bien. Naomi, tu dois être encore en train de rêver. » J’agrippe aussitôt ma gorge. Ma voix sonne tellement… bizarre. Elle est rauque et profonde comme celle d’une adulte.
C’est quoi, ce délire ? Je ne comprends rien. On m’a kidnappée ?
C’est quoi, ce délire ? Je saute hors du lit. Il est étrangement large. Je ne comprends rien. Est-ce qu’on m’a kidnappée pendant mon sommeil et amenée ici ? A pas lents, je sors de cette chambre inconnue et je m’engage dans le couloir. Peut-être que je vais voir un détail qui me sera familier. La maison a l’air d’être déserte : « Y a quelqu’un ? » Personne ne répond. En face de moi, la porte d’une salle de bains est entrouverte. Personne à l’intérieur. Je ne reconnais pas non plus les meubles. Un miroir est accroché au-dessus du lavabo. Peut-être que si je vois mon reflet, j’aurai la confirmation que je rêve toujours et que ça me réveillera. Je tente. Le choc ! Sous le coup de l’horreur, en plaquant les mains sur mes joues, je hurle : « Non ! Oh, mon Dieu ! Oh, mon Dieu ! Je suis… Je suis vieille ! » Mon cerveau tente de donner un sens au visage que je viens de voir. C’est quoi ces rides, ces pattes d’oie aux coins de mes yeux ? Pourquoi ai-je les cheveux courts ? La terreur s’installe. Je veux voir ma sœur tout de suite ! Où est Simone ? Je dévale l’escalier, je fais irruption dans une cuisine inconnue. Rien. Je cours vers le salon. Personne. Je remonte à la hâte dans la chambre. J’ouvre les portes des penderies en espérant qu’une de mes copines va soudain sortir en criant : « Surprise ! », puis j’éclaterai de rire pour le sale tour qu’elle vient de me jouer.
Prise de vertige, je tombe brutalement et je fonds en larmes
Rien. Seulement des vêtements. Bleus, pourpres, jaunes… Des couleurs que je n’aurais jamais portées ! Ce n’est pas chez moi ! Ce n’est pas moi, Naomi ! Prise de vertige, je tombe brutalement et je fonds en larmes. Je reste là un moment, roulée en boule sur le sol, à sangloter et à gémir. Qu’est-ce que je vais faire ? Soudain, j’entends de la musique au loin. Je rampe jusque dans la chambre. La musique vient d’un objet posé sur la table de chevet. La mélodie s’arrête, puis reprend et s’arrête encore. C’est étrange. Il n’y a pas de radio, ni de magnétophone, seulement un petit objet noir qui vibre sur la tablette. Le son m’agresse les tympans. Je prends la chose dans ma main avec méfiance. A sa surface, le mot « Simone » clignote en lettres noires. Simone ! Ça ne peut être que ma sœur, je n’en connais pas d’autre. Je tourne et retourne l’objet étrange entre mes mains. J’appuie sur la coque de plastique rigide. Je l’approche de ma bouche en répétant le prénom de ma sœur. Peut-être qu’elle pourra m’entendre. D’un seul coup, le clignotement, la musique et les vibrations s’arrêtent. Je crie à l’objet : « Où sont ces saloperies de touches ? » Les larmes recommencent à couler. Je suis dépassée. Soudain, des mots s’affichent : « Trois appels manqués. » C’est quoi, ce truc ? Un téléphone ?
Ce bébé est-il le mien ? Est-ce qu’on est dans le futur ?
J’essaie une nouvelle fois de me calmer et je reprends mon exploration. J’ouvre la porte d’entrée et j’avance au-dehors. Je scrute la rue. J’ai la confirmation que je ne connais pas cette ville. Je n’habite pas ici ! Je referme la porte et tente de reprendre mes esprits. Et pour la première fois, je remarque les nombreuses photos au mur. Mes yeux se fixent sur un bébé joufflu aux jolies boucles brunes. Mon cerveau me dit aussitôt « Léo », mais je ne sais pas qui c’est. Les autres photos me donnent bientôt une piste. Je me vois plus âgée avec le même bébé joufflu sur les genoux. Est-ce que c’est vraiment moi ? Ce bébé est-il le mien ? Est-ce qu’on est dans le futur ? La photo suivante était celle de Simone posant fièrement avec un parchemin blanc, vêtue d’une toge et d’un couvre-chef noir. « Tu es allée à l’université ? » Mais quand ? Peut-être que je suis dans la maison de ma sœur… Je retourne dans le salon. Je vois un téléphone sans fil. Celui-là au moins a des touches. Un numéro ne cesse de tourner dans ma tête et un nom, « Katie ». Celle qui est en classe avec moi ? Bon, pas le choix. Il faut que je tente. Je me lance. Un prénom s’affiche effectivement sur l’appareil : Katie. On décroche. « Salut ma chérie. Comment vas-tu ? Je voulais te rappeler justement. »
J
e ne sais pas ce qui est arrivé à mon visage… Il est vieux !
Vu sa voix, la fille au bout du fil ne peut pas être Katie de l’école. Peut-être sa mère ? Je lui réponds : « Je ne sais pas qui tu es. Je ne sais pas où je suis. Et je ne sais pas ce qui est arrivé à mon visage. » – « Attends, attends… Je ne comprends rien. Comment ça, ton visage ? » – « Il est vieux ! » La Katie que je ne connais pas commence par rire, puis elle m’entend pleurer : « Calme-toi, Naomi, je viens tout de suite chez toi. En attendant, respire, fais-toi un café… » « Beurk, mais c’est dégueu… » – « Arrête un peu, tu en bois des litres d’habitude. Bon, allume-toi une cigarette, alors… » – « Mais ça ne va pas la tête, je ne fume pas… » – « Ne bouge pas, j’arrive ! » Je raccroche. Plutôt qu’un café, je me fais une tisane. Ça me rappelle Joseph, mon beau-père qui adore ça. Et ma mère. Pourquoi est-ce qu’il n’y a aucune photo d’eux au mur ? Quelques minutes plus tard, j’entends sonner à la porte. J’ai peur de ce que je vais découvrir. Je n’ai pas la moindre idée de ce qui se passe, mais je suis certaine de deux choses : primo, j’ai 15 ans ; deuxio, nous ne sommes plus en 1992. Je suis dans le futur !
Une vie oubliée, de Naomi Jacobs (éditions Michel Lafon).
A suivre…
Feuilleton 2/3 : Naomi part à la rencontre de sa vie d’adulte
Feuilleton 3/3 : Naomi découvre le traumatisme qui a provoqué son amnésie