Gouvernante de luxe pendant quinze ans, Lydia Lecher a raccroché ses gants blancs sans regret ni rancœur. Domestique au service des ultra-riches, elle a connu la vie de château et nous dévoile l’envers d’un décor pas toujours reluisant… Plongée, côté coulisses, dans le ghetto du gotha.
Les riches sont comme les membres d’une secte secrète, avec leurs codes, leurs rituels et leurs traditions. Un univers parallèle, en marge de la société, où tout le monde se connaît, au moins de nom. Ce milieu fascine, chacun veut en être. Il y a donc des aspirants richards, des personnes qui veulent paraître plus riches qu’elles ne le sont. Pour cela, il faut afficher le standing haut de gamme et les gens de maison qui vont avec. En quinze ans de métier, nous sommes aussi tombés sur ces drôles de personnages, ces apprentis millionnaires. Six ans de bons et loyaux services chez monsieur Neige, magnat de l’art, et une lettre de recommandation élogieuse de sa part nous ouvraient toutes les portes.
Les riches sont très snobs. Monsieur et madame étaient subjugués par notre CV
Lors des entretiens d’embauche, mon mari Joseph et moi réalisions qu’aux yeux de nos futurs employeurs, nous faisions partie de la catégorie des « domestiques boosters d’ego ». Les riches sont très snobs. Quel plaisir de s’enorgueillir d’avoir la même gouvernante ou le même gardien que le célèbre monsieur Untel ! Subjugués par notre CV, monsieur et madame « Trader », puis monsieur et madame « Nouveau Riche » étaient prêts à toutes les promesses pour que nous acceptions le poste. Monsieur Trader était le sosie de Patrice Carmouze. Une bonhomie qui le rendait de prime abord sympathique, surtout quand il paradait en short Décathlon et veste de costume. Sa version à lui de l’habit de week-end chic et cool… Gestionnaire de très gros portefeuilles dans la finance, monsieur Trader venait de s’offrir sa première villa dans le Sud.
La plupart de mes employeurs étaient complètement dépassées par leur progéniture
Madame Trader, une Américaine, semblait apprécier les enfants en bas âge : « Votre fille de 2 ans pourra jouer à la maison. Mes enfants vont l’adorer. » La plupart des patrons préfèrent avoir du personnel sans enfants. Rassurés par ces bonnes paroles, nous avons accepté le poste. Comme toutes les femmes fortunées, madame Trader avait des nounous, ici asiatiques, pour s’occuper de ses quatre enfants, deux adolescentes et deux petits garçons. Mais, et c’est tout à son honneur, madame Trader était très impliquée dans leur éducation. Hélas, ce n’était pas le cas de beaucoup de mes employeuses. La plupart d’entre elles sont complètement dépassées par leur progéniture. Plus passionnées par leur vie mondaine ou leur dernier lifting. A l’instar de madame Nouveau Riche, sosie de Jackie Kennedy, qui semblait toujours terrassée par la vie.
Des enfants rois qui n’ont jamais appris à dire merci ni s’il te plaît
Incapable de se débrouiller avec ses trois enfants, elle était restée une éternelle adolescente, juste douée pour se pomponner. C’est avec soulagement qu’elle déléguait l’intégralité de l’éducation de ses enfants à une nourrice cap-verdienne qui ne comptait pas ses heures – non déclarées. Résultat, des enfants rois qui n’ont jamais appris à dire merci ni s’il te plaît. Madame Trader, elle, adorait ses enfants. Particulièrement le petit dernier, Charles, 3 ans, un charmant bambin que sa maman adorait habiller… comme une poupée. Charles se retrouvait donc souvent vêtu en princesse. Je n’ai jamais su si c’était sa volonté à lui ou une lubie de sa mère. Quoi qu’il en soit, en présence d’invités, Charles remettait immédiatement ses vêtements masculins. Si madame Trader semblait rêver d’avoir encore une petite fille, celles des autres l’agaçaient, notamment la mienne, Allyna.
« Lydia, je ne veux plus voir votre petite dans la maison ni dans le parc »
Un mois à peine après notre arrivée, la mixité des classes était révolue. « Lydia, votre petite ne peut plus jouer avec Charles. Et quand nous sommes là, je ne veux plus la voir dans la maison ni dans le parc. » Sans plus d’explication. Priver Allyna de balades dans le parc, alors que nous vivions sur place s’avérait très compliqué à gérer. Les enfants n’ont jamais compris cette interdiction. Et il fallait souvent sécher leurs larmes de chaque côté de la baie vitrée, une version réelle du plafond de verre. Notre collaboration n’a pas duré.
« J’achète, donc je suis » était la devise de monsieur Nouveau Riche de Picardie, un entrepreneur qui avait réussi dans l’industrie. Je respecte les self-made-men, il est sain de voir apparaître de nouvelles têtes. Mais Monsieur aurait pu figurer dans une comédie tant il était caricatural.
« Je n’ai pas acheté un château pour manger du poulet ! »
Son château en Picardie, une bâtisse très décatie bâtie sur 12 hectares de terrain, racheté à un Américain qui avait jeté l’éponge devant l’ampleur des travaux, devait être son Versailles. Un joujou pour rivaliser avec son copain publicitaire, qui possédait un domaine dans le coin. Monsieur n’avait ni les moyens de rénover son château ni ceux de le meubler. Les pièces, immenses, résonnaient sous nos pas tant il manquait d’étoffes et de meubles. Un Versailles au rabais. Monsieur avait des airs de vendeur de téléachat, à montrer ses couverts en argent aux invités. Quand je lui ai signalé que la lame des couteaux était en inox, il a bougonné : « C’est bien assez cher comme ça. » Tout pour la frime. Et, très vite, il a fallu rogner sur tous les budgets, mais sans en avoir l’air. Monsieur voulait manger comme chez Bocuse. Alors, il acheta… son livre. « Lydia, j’ai mis des Post-it sur les recettes qui m’intéressent. J’ai pas acheté un château pour manger du poulet ! »
Il voulait faire une arnaque aux assurances pour financer la rénovation du château
Cuisiner, j’adore ! J’ai regardé la sélection de Monsieur : il avait pris soin de choisir des recettes à base d’œufs et de volaille. Bref, les moins chères. Après les fêtes de fin d’année, Monsieur repartit avec sa famille pour Paris, laissant l’énorme cuve à fioul quasiment vide. En Picardie, certains hivers, les températures peuvent descendre jusqu’à – 10 °C. La situation était critique, car on n’achète pas du fioul à crédit. Malgré nos mises en garde répétées, silence radio du côté de Paris. Les canalisations d’eau d’une aile du château ont fini par exploser. Versailles, version Titanic. On nous a accusés de les avoir cassées. Monsieur voulait nous faire porter le chapeau pour sa pingrerie et faire une arnaque aux assurances pour financer la rénovation de son maudit château ! Sa plainte au pénal n’a jamais abouti. Plus question pour Joseph et moi de travailler pour des m’as-tu-vu ! On a vite découvert que la dinguerie pouvait être proportionnelle à la fortune…
A suivre…
Retrouvez aussi le premier épisode de notre feuilleton : En immersion chez les ultrariches : « Madame est une Blanche-Neige transformée en Cruella »
Feuilleton 3/3 : « Immensément fortunés, ils n’autorisaient les domestiques qu’à manger les restes avariés »
Livre : Bienvenue chez les riches, de Lydia Lecher, éd. Michel Lafon